jeudi 24 juillet 2008

La route, de Cormac McCarthy

Il n’y a pas de Dieu et nous sommes ses prophètes

Un monde ravagé, stérile, en cendre. « Le jour le soleil banni tourne autour de la terre comme une mère en deuil tenant une lampe » éclairant faiblement des contrées à vif, des arbres morts, des eaux grises,
Et une route d’asphalte défoncée qui serpente au milieu d’un chao infini
Sur cette route l’homme, son petit, quelques silhouettes faméliques, des débris d’hommes ou des restes de monstres, des cadavres desséchés çà et là
Une atmosphère étouffante comme cette cendre qui traine de partout, après une catastrophe inconnue. Cela n’a pas vraiment d’importance
Fuir l’hiver
Continuer sur la route, jusqu’à... la mer, jusqu’au Sud, jusqu’à la mort
« L’accablant vide noir de l’univers. Et quelque part deux animaux traqués tremblant comme des renards dans leur refuge. Du temps en sursis et un monde en sursis et des yeux en sursis pour le pleurer »
Un charlot et son kid qui auraient perdu le sens de l’humour, vagabonds trainant sur leurs carasses décharnées tous le poids du monde agonisant
Les paysages se font les souvenirs du monde d’avant, pâles copies, délavées, monstrueusement déformées, sortis de l’imagination angoissée d’un crâne malade. Mais même ces souvenirs et les mots pour les nommer se perdent peu à peu. « Comme le monde mourant qu’habite l’aveugle quand il vient de perdre la vue, quand toute chose de ce monde s’efface lentement de sa mémoire »
Il n’y a plus que cette terre calcinée, ces débris, la peur et le froid omniprésents
Désolation
Les couleurs ont quitté le monde, l’obscurité prend place jusqu’au fond de l’âme
Et le mal qui menace constamment, dans une maison abandonnée, dans ces inquiétants groupes de pillards qui rôdent, dans son propre visage aperçu dans la glace.
La barbarie, l’humanité rendue à sa fragilité primitive, et l’horreur pouvant surgir à tout moment.

Et au milieu de tout cela une tendresse déchirante et sobre et la beauté comme une rare fleur maladive dans une roche aride, qui se détache du tableau avec un éclat d’une émouvante fragilité.

L’écriture est précise, tranchante, retenue, efficace
Un chef d’œuvre
Et certains osent prétendre que la littérature est morte ? ;-)

samedi 21 juin 2008

Amour destructeur

"Je ne veux pas d'un amoureux; je ne veux pas d'un mari. Un amoureux, c'est comme le soleil, plus il chauffe, plus il fait le désert autour de vous. Je ne veux pas être comme une petite plante grasse toute seule au milieu d'un désert de cailloux".

Bernard-Marie Koltès, Roberto Zucco.

dimanche 15 juin 2008

Audace

"Prince, ce que vous êtes, vous l'êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n'y aura qu'un Beethoven."

Ludwig van Beethoven, au prince Carl Lichnowsky.

L'affre du gouffre

Filature doucereuse. Erosion de l'âme. Les roses pleuvent sans que ne paraisse l'évasion. La vallée parle et le rossignol s'éveille en un soubresaut hiératique. Art de l'affre. Affreuse symphonie dont coule la splendeur passée. Plus de couleurs, plus d'ironie. La vie mange le temps et brûle le sacerdoce du crépuscule. Cramponnez-vous, anges de mon âme. Déchirez le voile qui vous enserre pour ne plus revenir. Soyez emplis de confiance. Catastrophe en qui se reconnaît le loup. Arrimage difficile et verte allure et froid ténébreux. A qui le tour ? Celui dont la soie est parfaite. Par une subtilité langagière qui lui est propre, il nage en terre inconnue sans que nul ne manifeste sa peur. Rayons défectueux d'un soleil déjà mort. Le fleuve grandira de ses turpitudes enfantines. Baignons-nous, pêcheurs que nous sommes et serons, baignons-nous dans le sein utérin. Et que vie étincelle sous le pommier d'argent. Etincelle divine qui croît dans la pénultième pénombre. Errons, petit patapon. Et patatra. Comme un saule pleureur sur la ride blanchie du vieillard agnostique. Pitié pour eux, Seigneur. Car viendra le temps des palindromes, des mysticismes et des otages. A nous le sort. A nous l'abîme. A nous le funèbre. Sans une espérance qui serait flambeau. Sans un espoir qui serait étiolé. Regarde en moi la fleur de l'image, le sage des courants et le porteur du monde. Car qui ne l'est plus ou moins, excepté le rhéteur ? Range et ronge petit patapon du Nord. Aujourd'hui, les morts surgissent et dansent voluptueusement autour d'eux-mêmes.

(Petit texte écrit sans aucune intention, sans aucun travail préalable ni postérieur. Sorte d'écriture automatique. Probablement n'a-t-il aucune valeur.)

jeudi 5 juin 2008

Hêtre virtuelle

Voyez ces petits riens associés, qui dialoguent à travers l'espace-temps, avec d'autres petits riens .
Ces fourmilles muettes et sonores qui creusent les lignes s'organisent sous le joug du chef, ce Roi abominable et tyrannique, lucide et éveillé. Or ces milliers de petites pattes saturés ou raturés louent la Reine avant tout.
Ici, le numérique se joue des feuilles vivifiés par le froissement de nos mains, et les correspondances échappent aux esprits vaillants. Quant aux sens faméliques perçuent par des cochons , rétorquons qu'il suffit de lire de gauche à droite, et de haut en bas, et si cela ne provoque une certaine carence intellectuelle et bien "tournez la page"... Encore une fois l'espace virtuel nous nargue.

L'olivier

Au fin fond de l'Alabama, un jeune noir accorde sa guitare avant de livrer au paysage plat d'été un doux cri en mémoire de ses ancêtres. Il est aveugle. Il songe aux noeuds qui pendent de l'olivier. Le collier de son arrière grand-père est ici. Ce collier qui lui coupa net le souffle. Alors le chant restera la plus pacifique des vengeances, un véritable don divin pour que la descente en enfer s'illumine le long du chemin.

Strange Fruit


Abel Meeropol (Lewis Allen)


Southern trees bear a strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root,
Black body swinging in the Southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.

Pastoral scene of the gallant South,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolia sweet and fresh,
And the sudden smell of burning flesh!

Here is a fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for a tree to drop,
Here is a strange and bitter crop.


Etrange Fruit

Les arbres du Sud portent un étrange fruit,
Du sang sur les feuilles, du sang aux racines,
Un corps noir se balançant dans la brise du Sud,
Etrange fruit pendant aux peupliers.

Scène pastorale du "vaillant Sud",
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Parfum du magnolia doux et frais,
Puis la soudaine odeur de chair brûlée.

Fruit à déchiqueter pour les corbeaux,
Pour la pluie à récolter, pour le vent à assécher,
Pour le soleil à mûrir, pour les arbres à perdre,
Etrange et amère récolte.



Mon cher ami Thomas a fait renaître sous mes yeux et dans mes oreilles la fameuses chanson Strange fruit, de Lewis Allen. L'interprétation par Billie holiday demeure tout de même un franc moment d'émotion, rendant par là une boulversante mémoire à cette branche d'opprimée.
Pour vous en convaincre je vous invite à cliquer ici.

Intermission

Sommes-nous condamné à l'éternel oubli du moi?
Répondeur.
Nous sommes voué à laisser un message.
L'alter-égo et l'égo s'égosillent en un choeur qui bat la mesure de notre ère. Ils dégoupillent la sainte grenade pour tuer le silence. Aujourd'hui fuyant l'altércation délimite l'espace. Demain ils se sépareront et s'ignoreront.
Les soupirs qui s'intercalent entre ces silences révèlent la pesanteur. L'écrasante lumière...l'île illuminée minée par le moral rêve encore, et les corps absents...et les corps absents...et son pied inexistant...et ce tout qui représente l'envers...là-bas, terminé, adjoints au passé...où plus rien ne foulera terre désormais.

dimanche 1 juin 2008

au fil d'une écoute... le concerto n° 2 de Brahms

Petit moment musical en 4 temps pour ce concerto qui se prend pour une symphonie. Un concerto virtuose dont je me propose de vous donner un avant goût, en quelques mots bien maladroits, qui ne savent pas dans quel sens se tordre pour ressembler à des notes de musique. L’exercice est périlleux, mais le thème mérite bien ce petit effort.
Le premier mouvement fait semblant de commencer en douceur, sur cette éveil du piano qui s’étire paresseusement, mais bien vite, déferlant de derrière l’orchestre, il rentre tout de suite dans le vif du sujet. Il ne s’agit pas de plaisanter, passons aux choses sérieuses ! Mais la suite se déroule entre hésitations, vacillements, les violons faisant semblant d’esquisser le thème, mais légèrement, avec l’air de ne pas y toucher. Des envolées grandioses ouvrent le champ, préparent le terrain au piano, qui semble y mettre de la colère, mais revient toujours à une page de douceur. C’est un va et viens constant entre rage et douceur, énergie et cette divine langueur que l’on retrouve à la cinquième minute, où tout s’éclaire le temps de quelques petites mesures, comme un temps d’arrêt plein de grâce et de tendresse. Et puis la mélodie prend son élan, s’énerve, revient, se calme, jusqu’à cette sublime 7° minute où il prend la parole, seul, comme pour régler son compte au monde entier, ou juste crier seul, face à l’impassibilité de toute la machine orchestrale ; « j’ai hurlé que les cieux me rendissent des comptes ! » dira Laforgue. Des éclats d’énergie soudains qui surgissent sans qu’on s’y attende, et ce perpétuel oscillement entre lumière et ombre, légèreté et pesanteur.
Mais ce thème ! Ce thème et tout le reste est superflu, ou valait seulement en ce qu’il préparait ce moment, sublime moment, magique, ou le cri déchire une deuxième fois la mélodie, où ces simples notes semblent s’adresser directement à l’auditeur, comme pour le prendre à parti, entre quatre oreilles si j’ose dire. Tout se résout, les hésitations, vacillement, craintes, dans cette plainte rageuse, cette révolte qui parvient enfin à se formuler. Tout l’orchestre, réuni par la suite dans une lancée victorieuse et presque trop clinquante, orgueilleuse, ne parviendra pas à la puissance de ces dix doigts affrontant seul un clavier.

Le deuxième mouvement ne laisse pas le temps de reprendre son souffle ; on est de nouveau assaillit par un thème envoutant et mélancolique, malgré toute la puissance déployée.
Les cordes interrompent délicatement ce moment, d’une voix lointaine, pour introduire un nouveau thème lancinant comme un souvenir, une réminiscence douloureuse. Folle course en avant, faussement joyeuse, pour ne pas regarder en arrière... et puis ces souvenirs qui se réveillent malgré tout, malgré de bruit de l’orchestre, et profitent du premier instant de silence pour insuffler leur mélancolie à tous les instruments, comme un insidieux et délectable virus. Même si la force semble l’emporter pour cette fois, ce qui expliquerait ces accords si fiers, qui étalent prétentieusement leur puissance. Et pourtant... il y a ces quelques secondes de pure douceur qui surgissent soudain, comme une déclaration d’amour tout à fait incongrue, un épanchement impossible à contenir, vite rattrapé cependant par un piano diabolique qui accélère d’autant plus la cadence, pour refréner au plus vite cette légère faiblesse et boucler le mouvement sur le thème de départ, avec trois fois plus de puissance.
Et puis, le mouvement lent. L’ouverture s’étend en longueur, suivie de ces quelques notes de piano qui se déploient infiniment lentement, avec une grâce infinie, et se répètent, s’étirent encore, jusqu’à un sommet d’où il se laisse glisser ensuite en douceur. Les sonorités prennent de l’ampleur, mais retombent bien vite. Dans un paysage désert, désolé, s’égarent une flute et un piano, une mélodie qui a perdu sa direction et qui rêve d’un autre pays, où se reposent quelques notes esseulées dans une promenade sans but, errant au hasard de la rêverie. Pourtant, quelque chose semble résolu, et la fin s’ouvre sur une aube nouvelle, comme réconciliée.
Enfin, enfin, le quatrième mouvement, pur moment de beauté, qui porte, emporte, comme un jeu, comme une valse folle, nos émotions malmenées pendant tout le concerto. Une nouvelle lumière, et tout s’agite allégrement, sautille, palpite. Déchainement des cordes, emportement à outrance (mais combien y a-t-il de violons ?!) Et là, surgit cette petite mélodie, drôle, légère, plus douce et sautillante qu’une comptine pour enfant, qui émeut comme une pureté retrouvée. Ce qui n’empêche pas l’ampleur des thèmes suivants, qui jouent néanmoins sur les échos ludiques de ce passage d’une grâce insensée. Jusqu’au point culminant du pianiste qui s’élève, emporte tout l’orchestre sur ses épaules, martèle cruellement les touches du piano, tragique et sublime, du Friedrich, avec son homme contemplant les nuages du sommet d'une montagne, sans rien oublier, la grandiloquence de la posture, le vent dans les cheveux... mais ca marche, ca marche, pauvres esprits romantiques que nous sommes ! Et cette mélodie espiègle et faussement naïve qui revient, plus diaboliquement sautillante que jamais, comme pour rappeler le caractère dérisoire de chaque destinée, toute tumultueuse et passionnée qu’elle soit. Les dernières notes nous achèvent d’une dernière secousse d’énergie et nous laissent, chancelant, sur le bord du chemin...

Bien sûr, bien sûr, Brahms est trop romantique... et mes écrits aussi sans doute. Je ne peux que vous encourager à aller l’écouter par vous même, en oubliant ces faibles mots, mes approximations, et mon parti pris tout à fait personnel. Bonne écoute
http://www.youtube.com/watch?v=gXgMJhqhvjg (Richter jouant les premières notes, pour vous donner un avant goût!)